Question douloureuse

Question douloureuse, le suicide. Elle a taraudé bien des générations d’adolescents et même d’adultes. Elle a eu des réponses variables selon les pays, les époques. Voilà ce qui me vient aujourd’hui à l’esprit.

Le terme « suicide » est un acte longtemps désapprouvé  dans les pays occidentaux. Considéré comme lâcheté ou encore comme un crime contre Dieu ou même une offense à la communauté, la mort volontaire a, au fil des siècles, largement suscité la réprobation sociale. En ce qui me concerne, à dix-sept ans, j’avais fait du “Mythe de Sisyphe” d’Albert Camus, mon livre de chevet. La prise de conscience de l’absurde nécessite-t-elle le suicide ? ce à quoi Camus répond : « Non, elle nécessite la révolte ».

Il faut bien considérer que le suicidé est un trouble-fête qui déstabilise l’ordre social et fait vaciller la confiance que la société a en elle ; le groupe se sent alors coupable (de moins en moins, puisque désormais il n’y a “ni responsable ni coupable” et c’est là qu’on peut voir un premier problème). Le suicidé fait injure à la communauté qui, à sa manière, le condamne ; autrefois, les suicidés n’avaient pas le droit d’être enterrés au cimetière : ni curé, ni honneurs. aujourd’hui, on le comprend. Un progrès ? Une prise de conscience du mal-être des Humains ?

Depuis des siècles, le suicide est un tabou qui dénie à l’individu le droit de s’ôter la vie : seul Dieu est tout-puissant, il donne et reprend la vie.  Des penseurs, tels que Platon ou Aristote, prennent en considération la dimension sociale de l’homme, inséré dans la communauté d’où un interdit social plus que religieux.

Platon estime que l’individu ne doit pas déserter son poste dans la cité, allant pour cela jusqu’à suggérer le refus de la sépulture. Aristote est résolument opposé au suicide qu’il associe à de la lâcheté face aux responsabilités qui nous incombent. nous devons affronter les “troubles” du temps avec sérénité. Ce raisonnement fait de la société la valeur éthique centrale avec ses mesures d’interdiction ou de protection comme si tous les Hommes étaient des incapables sous tutelle de l’État.

Pour Emmanuel Kant, qui fonde sa morale sur la raison, l’Homme qui attente à sa vie ne se traite pas comme une personne raisonnable, digne de respect, c’est dire, selon ce philosophe, que ma dignité qui procède de la dignité humaine m’impose le devoir de vivre.

Le suicide, c’est la condamnation et la honte sur le mort et sur sa famille. Pas de funérailles publiques et religieuses, sujet banni des conversations dites « convenables ».

Montaigne puis les penseurs du Siècle des Lumières ont tenté d’instaurer un débat public pour faire accepter cette liberté d’en finir avec sa vie. Une étape importante a été franchie en 1810, le code Napoléon promulguant la dépénalisation du suicide mais, dans les esprits, l’acte était resté condamnable. La laïcisation des valeurs n’a pas changé grand chose, le suicide n’est plus une transgression des devoirs envers Dieu mais il représente une dérobade de l’homme à ses obligations envers la société.

Même Auguste Comte voit toujours dans le suicide un acte immoral, une pratique antisociale, une preuve de lâcheté face aux épreuves de l’existence.

Au tournant des années 1950, au sein des sociétés démocratiques, une socialisation permissive couplée à une « privatisation » générale de la vie quotidienne a fait que l’approche du suicide s’est nettement assouplie : l’individu s’appartient d’abord à lui-même. Dans les années 1970, on a plus ouvertement parlé du droit à la mort digne, du suicide assisté. Il s’est agi là d’un important changement de perspective : le «postmoralisme» voit dans le suicide l’indice du désespoir, d’un symptôme dépressif, la conséquence d’une carence affective, voire une auto-délivrance. Le “psychologique” a pris la place des commandements impératifs de la morale sociale et le droit à ne pas souffrir s’est substitué au devoir de nous conserver en vie.

Le voile de silence qui continue de s’étendre sur les suicides est significatif d’un tabou persistant. Cet acte se situe dans une zone floue, ni totalement illégitime, ni pleinement légitime. La société a du mal à accepter le suicide et pourtant…

Pour chaque adulte qui se suicide, on compte probablement plus de vingt (20) autres tentatives . Comme c’est le cas pour les taux de suicide et de tentatives de suicide, on observe une large variation du ratio tentatives-décès et du taux de létalité des tentatives de suicide selon les pays, les régions, les sexes, les âges et les méthodes. 60 % des personnes ayant fait une tentative de suicide répètent leur geste.

Je reprends des chiffres de mon article de  2012 :

  • Moins de quatre mille morts sur la route. 4 000

  • Suicides réussis, c’est-à-dire suivis de mort : douze mille. 12 000.

  • Oui, trois fois plus.

Pourquoi ce silence assourdissant ?

  • Un suicide toutes les 50 minutes en France.

  • Environ 160 000 tentatives par an.

  • Plus de 10 000 morts chaque année.

Le nombre des tentatives est sous-estimé ; la comptabilisation se fait par l’activité des urgences hospitalières et toutes les tentatives ne font pas l’objet d’une hospitalisation.

Une question finale et douloureuse : combien de suicides en 2020 ?

En France.  puisque mon pays m’intéresse. Et ailleurs ?

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2 réflexions sur « Question douloureuse »

  1. Ton article m’ a d’ abord fait penser au ” seppuku ” le suicide par éventration, douloureux, qui demande du courage !
    J’ai ensuite pensé à tous ceux que je connais et qui ont fait de la dépression, une maladie psychique, difficile à comprendre , et qui a son fondement dans le passé !
    Je me dis qu’ on devrait pouvoir choisir de mourir si la vie n’ offre plus le moindre espoir, ou que la médecine est incapable de supprimer la douleur !
    Si je devais me suicider, il me semble que je tenterai d ’emmener quelques salopards avec moi !
    Passe une bonne journée Françoise
    Bisous

  2. oui c’est terrible le suicide, on n’en connait meme pas les chiffres exacts chez nous ! j’ai connu un suicide dans ma famille, un cousin acculé au suicide à 47ans, par l’incompréhension de ses parents, son père avait vendu la ferme, sans lui en parler, il se retrouvait sans travail, ni avenir, son père un monstre, n’a eu comme réaction “nous avoir fait ça à nous !” … eh oui ça existe des gens comme ça ! le suicide par euthanasie, je peux comprendre, si on est confronté à des douleurs sans espoir de guérison, la loi devrait évoluer vers ça ! on en parle ? en attendant essayons de bien vivre ensemble, et de nous comprendre ! bonne journée chère Françoise, grosses bises

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