Après “Claudine à l’école”, il y a eu “La maison de Claudine” mais pour moi, Claudine, c’est Colette, Colette et ses chats. Bon c’est bien embrouillé ce début mais quand les souvenirs refont surface, il est difficile de les contenir. Ils arrivent en hordes, pas facile de les discipliner et puis à quoi bon ? Vous n’en avez pas marre vous des contraintes multiples ?
Moi je me crois assez mature, sage, pour me fixer des règles qui permettraient de vivre paisiblement en société si tous nous, nous les utilisions. C’est l’anarchiste qui sommeille en moi depuis toujours qui vous le dit. Je dis, je répète : l’anarchie ce n’est pas la pagaille. L’anarchie est une société sans système de pouvoir supérieur : pas de gouvernement autoritaire, pas d’économie d’exploitation ou de religion dominante. C’est un milieu social où il n’existe pas de chef, ni d’autorité centrale ; une société où chaque personne, groupe, communauté est autonome dans ses relations internes et externes. Il existe bien une organisation, un ordre, basés sur l’intelligence, la responsabilité, sans aucune mesure coercitive puisque les individus seraient intelligents et libres. Trêve de rêves, d’utopie, je reviens à Colette et ses chats.
Si les chats ont neuf vies, Colette, aussi, à toute allure. Elle fut tour à tour, écrivain, danseuse, comédienne, critique littéraire, journaliste et même tenancière d’une boutique de produits de beauté. Après son mariage avec Willy, elle s’est libérée, a choqué l’opinion publique des années 1910 en se présentant seins nus sur scène, mais pour moi elle reste un auteur merveilleux ayant le goût des mots et des belles histoires. Ma première lecture complète : “Le Blé en herbe“, je devais avoir neuf ans et je ne crois pas avoir tout compris mais je me suis faite gronder d’avoir oser lire un livre inabordable, puisque perché sur une étagère en hauteur, un peu comme Victor Hugo aux Feuillantines :
Nous montions pour jouer au grenier du couvent.
Et là, tout en jouant, nous regardions souvent
Sur le haut d’une armoire un livre inaccessible.
Nous grimpâmes un jour jusqu’à ce livre noir ;
Je ne sais pas comment nous fimes pour l’avoir,
Mais je me souviens bien que c’était une Bible.
Mais le plus beau texte de Colette à mes yeux, extrait de “Claudine à l’école”,est celui où elle parle du presbytère :
— À quoi penses-tu, Bel-Gazou ?
— À rien, maman.
C’est bien répondu. Je ne répondais pas autrement quand j’avais son âge, et que je m’appelais comme s’appelle ma fille dans l’intimité, Bel-Gazou. D’où vient ce nom, et pourquoi mon père me le donna-t-il ? Il est sans doute patois et provençal — beau gazouillis, beau langage — mais il ne déparerait pas le héros ou l’héroïne d’un conte persan…
« À rien, maman. » Il n’est pas mauvais que les enfants remettent de temps en temps, avec politesse, les parents à leur place. Tout temple est sacré. Comme je dois lui paraître indiscrète et lourde, à ma Bel-Gazou d’à présent !
…/…
À son âge — pas tout à fait huit ans — j’étais curé sur un mur. Le mur, épais et haut, qui séparait le jardin de la basse-cour, et dont le faîte, large comme un trottoir, dallé à plat, me servait de piste et de terrasse, inaccessible au commun des mortels. Eh oui, curé sur un mur. Qu’y a-t-il d’incroyable ? J’étais curé sans obligation liturgique ni prêche, sans travestissement irrévérencieux, mais, à l’insu de tous curés. Curé comme vous êtes chauve, monsieur, ou vous, madame, arthritique.
Le mot « presbytère » venait de tomber, cette année-là, dans mon oreille sensible, et d’y faire des ravages.
« C’est certainement le presbytère le plus gai que je connaisse… » avait dit quelqu’un.
Loin de moi l’idée de demander à l’un de mes parents : « Qu’est-ce que c’est, un presbytère ? » J’avais recueilli en moi le mot mystérieux, comme brodé d’un relief rêche en son commencement, achevé en une longue et rêveuse syllabe… Enrichie d’un secret et d’un doute, je dormais avec le mot et je l’emportais sur mon mur. « Presbytère ! » Je le jetais, par-dessus le toit du poulailler et le jardin de Miton, vers l’horizon toujours brumeux de Moutiers. Du haut de mon mur, le mot sonnait en anathème : « Allez ! vous êtes tous des presbytères ! » criais-je à des bannis invisibles.
Un peu plus tard, le mot perdit de son venin, et je m’avisai que « presbytère » pouvait bien être le nom scientifique du petit escargot rayé jaune et noir… Une imprudence perdit tout, pendant une de ces minutes où une enfant, si grave, si chimérique qu’elle soit, ressemble passagèrement à l’idée que s’en font les grandes personnes…
— Maman ! regarde le joli petit presbytère que j’ai trouvé !
— Le joli petit… quoi ?
— Le joli petit presb…
Je me tus, trop tard. Il me fallut apprendre — « Je me demande si cette enfant a tout son bon sens… » — ce que je tenais tant à ignorer, et appeler « les choses par leur nom… »
— Un presbytère, voyons, c’est la maison du curé.
— La maison du curé… Alors, M. le curé Millot habite dans un presbytère ?
— Naturellement… Ferme ta bouche, respire par le nez… Naturellement, voyons…
J’essayai encore de réagir… Je luttai contre l’effraction, je serrai contre moi les lambeaux de mon extravagance, je voulus obliger M. Millot à habiter, le temps qu’il me plairait, dans la coquille vide du petit escargot nommé « presbytère » …
— Veux-tu prendre l’habitude de fermer la bouche quand tu ne parles pas ? À quoi penses-tu ?
— À rien, maman…
… Et puis je cédai. Je fus lâche, et je composai avec ma déception. Rejetant les débris du petit escargot écrasé, je ramassai le beau mot, je remontai jusqu’à mon étroite terrasse ombragée de vieux lilas, décorée de cailloux polis et de verroteries comme le nid d’une pie voleuse, je la baptisai « Presbytère », et je me fis curé sur le mur.
C’est, pour moi, l’un des plus beaux textes de la littérature française, un texte qui parle de l’enfance et de ses rêves. Je crois que c’est à l’école, au cours d’une dictée en CE2 il me semble, que je l’avais découvert en partie. Oui un Y dans un mot, ce n’est pas si fréquent, encore que : abbaye, aboyer…
bonjour chere Françoise, tres bien ton texte sur “Claudine à l’école”…et son presbytère ! souvenirs de lecture ! gamin j’avais peu de livres à ma disposition, à part le “Petit Larousse” et le catalogue de “Manufrance” , une merveille qui me permettait de rêver !! entre 1940 et 1945 il n’y avait pas mieux, ensuite j’ai lu vraiment, j’ai dévoré ! quand on n’a rien on s’en fabrique des rêves ! bonne fin de semaine, bises
Lorsqu’on est doué on l’ est souvent dans plusieurs domaines.
L’ essentiel de mes lectures de jeunesse concernait les animaux, et plus tard, je me perfectionnais avec les Bordas, toujours sur ce thème.
Je me suis souvent dit, qu’on n’aurait pas besoin de limitation de vitesses, si tout le monde roulait avec bon sens et selon la densité de circulation.
C’ est pourquoi l’anarchie ne me parait pas viable, nous subissons tous les conséquences des irréfléchis !
Toutefois il est évident que ces politiques qui font des promesses dont les technocrates se moquent, ne sont pas la solution.
Bon dimanche Françoise
Bisous