Possible (4)

Quatrième partie et fin de “La dernière révolte”, extrait de “L’arbre des possibles et autres histoires” de Bernard Werber.

Et puis ils décidèrent de s’adresser à la population, et rédigèrent un tract :

« Respectez-nous. Aimez-nous. Les anciens peuvent garder les tout-petits. Ils peuvent tricoter des pull-overs. Les anciens peuvent repasser et cuisiner. Toutes ces choses qui prennent du temps et répugnent aux jeunes, nous savons encore les faire. Parce que nous n’avons pas peur de l’écoulement du temps.  L’homme, en tuant ses anciens, se comporte comme les rats qui éliminent systématiquement les éléments les plus faibles de leur société. Nous ne sommes pas des rats. Nous savons être solidaires et vivre en société. Si l’on assassine les plus faibles, il ne sert à rien de vivre en groupe. Finissons-en avec les lois anti-vieux. Sachez nous utiliser plutôt que nous éliminer. »

Et ils s’arrangèrent pour distribuer cet appel à travers tout le pays. Mais Fred n’était pas satisfait. Un jour, il décida qu’il ne suffisait plus de protéger leur propre communauté. Il fallait également libérer tous les anciens encore prisonniers des CDPD. Les plus dynamiques des Renards blancs se déguisèrent alors en « jeunes », se teignirent les cheveux et se munirent de faux papiers les présentant comme des enfants « pris de remords », venus au terme de la période de réflexion récupérer leurs aïeux. Peu à peu, face à une telle recrudescence de repentis, les autorités furent intriguées et cela sema le doute. On exigea dès lors de toute personne se présentant pour reprendre ses parents qu’elle exhibe d’abord ses mains. Celles-ci trahissent toujours l’âge de leur propriétaire.

Fred décida alors de passer à la guérilla urbaine. Tous les membres de la section « action » des Renards blancs attaquèrent en masse un Centre de Détente Paix et Douceur, libérant ainsi de leurs cages une cinquantaine d’anciens, et leur troupe s’agrandit encore. Elle devenait une véritable armée, l’armée des Renards blancs.

La police et le CDPD localisèrent leur implantation dans la montagne et tentèrent plusieurs fois de les attaquer, mais de vieux généraux les avaient rejoints avec des stocks d’armes. Ils ne disposaient plus seulement de malheureux arcs pour protéger leur camp, mais bel et bien de fusils-mitrailleurs et de mortiers de 60 mm. Constitué de ministres et secrétaires d’État dans la force de l’âge, le nouveau gouvernement refusait de céder. Les vieilles personnes étaient arrêtées à leur domicile par des escouades de plus en plus fournies. Tout se passait comme si les autorités voulaient achever la besogne avant que la révolte ne se généralise dans tout le pays. Le CDPD n’utilisait plus des autobus mais des fourgons blindés réquisitionnés auprès des banques. Loin de lâcher du lest, le gouvernement s’enferra dans une politique de plus en plus draconienne : interdiction aux plus de soixante ans de travailler, interdiction aux enfants de soutenir leurs parents. En réaction, les raids des Renards blancs s’intensifièrent. Des deux côtés, les positions se durcirent. La caverne et les grottes s’étaient transformées en places fortes. Plus sûre, plus confortable, la vie dans la montagne était devenue agréable et, ils l’admettaient volontiers, vivre dans la clandestinité constituait pour eux une formidable cure de jouvence. Ils espéraient que leur armée de réfractaires réussirait à inquiéter les autorités au point de les pousser à modifier leur législation anti-vieux, ou inciterait le Président à composer avec eux.

Bien au contraire, le ministre de la Santé imagina une parade visant à mettre un terme définitif à l’aventure. Pas de stratagème héroïque pour contraindre ces rebelles à rentrer dans le rang, mais la grippe, tout simplement.

Des hélicoptères larguèrent, en grande quantité, des échantillons de virus au-dessus de la forêt. Lucette mourut la première. Fred refusa néanmoins de céder. Évidemment, ils avaient besoin d’urgence de vaccins mais l’État avait préventivement ordonné la destruction de tous les stocks. La contagion était donc inévitable. Les pertes se multiplièrent. Trois semaines plus tard, la police ne rencontra aucune résistance lorsqu’elle vint arrêter ce qu’il restait de Renards blancs. Fred fut capturé par une nouvelle section du CDPD, composée exclusivement de jeunes gens de moins de vingt ans. Avant de périr sous l’effet de la piqûre, la légende assure que Fred regarda froidement son bourreau dans les yeux et lui assena : « Toi aussi, un jour, tu seras vieux. »

FIN

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Je vous renvoie à un billet écrit il y a un an et un jour, une chanson : N’oubliez jamais !

« L’humanité est à un croisement : un chemin mène au désespoir, l’autre à l’extinction totale. Espérons que nous aurons la sagesse de savoir choisir. » Woody Allen

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2 réflexions sur « Possible (4) »

  1. et bien, quand on se souvient de certaines paroles d’Attali concernant les ” vieux ”
    [AttaliRetraite]

    Dès qu’il dépasse 60-65 ans l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et il coûte cher à la société. La vieillesse est actuellement un marché, mais il n’est pas solvable. Je suis pour ma part en tant que socialiste contre l’allongement de la vie. L’euthanasie sera un des instruments essentiels de nos sociétés futures. »

    Jacques Attali – « L’avenir de la vie » – 1981
    lorsqu’en plus on constate le machiavélisme de l’actuel locataire de l’ Elysée, on peut tout imaginer !

  2. bonjour chere Françoise, terrible cette fin ! et oui toutes et tous deviendront vieux ou viellles ! et ce vieux machin d’Attali 77ans qui veut euthanasier les vieux ! il serait grand temps pour lui de fermer sa g… Macron il ne l’a pas dit encore, mais des fidèles à lui ne s’en cachent pas , Mme de Montchalin aurait vanté l’euthanasie, mais ce serait une parodie ??? facile a dire quand on est pris la main dans le sac !

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