Troisième partie de “La dernière révolte” ; extrait de “L’arbre des possibles et autres histoires” de Bernard Werber.
Le soir, au coin du feu, les anciens discutèrent. – “Nous ne nous en sortirons jamais”, constata Mme Varnier, qui avait épuisé le stock de médicaments qu’elle avait emporté lors de son arrestation. – “Les loups nous mangeront.” – “La police nous retrouvera.” Fred rassura son monde. Sa voix prenait de plus en plus d’assurance. – “Ici nous ne risquons rien tant que nous ne nous faisons pas trop remarquer. Nous avons disparu depuis plusieurs jours, ils doivent nous croire morts de froid ou dévorés par les bêtes sauvages. C’est là leur grande faiblesse : ils sous-estiment les personnes âgées.”
M. Monestier marmonna : “Je n’aurais jamais cru que nous en arriverions là…” Une grand-mère les prit à témoin : – ” Mais qu’est-ce qui s’est passé, nous n’avons jamais agi ainsi avec nos parents…” Fred coupa court à la discussion : – “Cessez de ressasser vos souvenirs. Assez de jérémiades, vivons dans le présent. Vous savez parfaitement que nos enfants ont le cerveau lavé avec ce culte de la jeunesse éternelle. A force de ne se consacrer qu’à la beauté physique et à sa religion, la chasse aux kilos, aux rides et à la gymnastique obligatoire, ils deviennent stupides. Mais ce n’est pas en nous éliminant qu’ils la conserveront, leur jeunesse.”
La petite communauté l’acclama. Soudain, ils distinguèrent une silhouette à l’entrée de la caverne. D’un coup, tous les anciens bondirent sur les javelots qu’ils avaient fabriqués et mirent en joue l’arrivant. Ils tremblaient tellement cependant qu’ils auraient été bien incapables d’ajuster leur tir. Après la première silhouette, en apparut une deuxième, puis une troisième, et une quatrième. La panique gagna le groupe de bannis. Refrénant sa propre peur, Fred saisit une torche et s’avança. – “Vous êtes du CDPD ?” demanda-t-il, en s’efforçant de contrôler sa voix. Il s’approcha : les créatures n’étaient ni des policiers, ni des infirmiers. Il n’y avait là que des anciens, comme eux. – “Nous nous sommes évadés d’un Centre. Nous avons appris votre évasion et nous vous recherchons depuis plusieurs jours”, expliqua un vieil homme voûté. “Je suis le docteur Wallenberg”. – “Et moi, Mme Wallenberg”, déclara une femme édentée. – “Enchanté et bienvenue”, dit Fred, rasséréné. – “Nous sommes une dizaine. Il faut que vous sachiez que pour tous les anciens du pays, vous êtes des héros. La nouvelle s’est vite répandue. Tous savent que vous vous êtes échappés et que vous avez survécu. Les autorités ont voulu faire croire que vos cadavres avaient été retrouvés mais il était facile de se rendre compte qu’il s’agissait d’images truquées. Ces cadavres étaient beaucoup trop jeunes.” Ils éclatèrent de rire. Ils n’avaient pas ri aussi gaiement depuis fort longtemps. Et cet accès d’hilarité en fit tousser, rougir et transpirer plus d’un. Ils étaient désormais vingt-quatre. Les nouveaux arrivants apportaient avec eux des objets précieux papier, stylos, couteaux, sonotones, lunettes, cannes, médicaments, ficelle… Le docteur Wallenberg exhiba même une carabine à répétition, surplus de la guerre de Corée à laquelle il avait participé en tant que volontaire. – “Fantastique ! Nous avons là de quoi soutenir un siège !” s’exclama Lucette. – “Oui, et je suis convaincu que d’autres viendront nous rejoindre. Jusqu’ici, ceux qui s’évadaient n’avaient ni espoir ni possibilité de refuge, et c’est pour cela qu’ils se faisaient toujours reprendre. Maintenant, ils savent qu’ici, dans nos montagnes, tout est possible. Je suis certain qu’à l’heure qu’il est, des centaines d’anciens ratissent la région.”
En effet, jour après jour, de nombreux vieillards vinrent grossir les rangs des révoltés. Beaucoup mouraient d’épuisement en arrivant ou peu après, faute de médicaments adaptés. Mais ceux qui survivaient s’endurcissaient vite. Très adroit, le docteur Wallenberg apprit à ses compagnons à fabriquer des collets pour chasser le lapin. Quant à son épouse, excellente botaniste, elle leur enseigna comment reconnaître les champignons comestibles (ils avaient hélas subi quelques pertes avec des champignons suspects) et comment planter céréales et légumes. Jadis électricien, M. Foultrant se lança dans la construction d’une éolienne dont les pales discrètes dépassaient à peine les arbres. Grâce à cet engin, ils eurent bientôt de la lumière dans la caverne. Fred se chargea des canalisations qui apportèrent dans leur habitation l’eau d’une source voisine. La vie dans la forêt devenait plus facile. Chacun se considérait comme un survivant et ainsi que le soulignait Fred : “Chaque jour que nous passons ici est un miracle.”
Ils furent bientôt une centaine, regroupés dans cette caverne et les grottes avoisinantes. Fred et Lucette devinrent des personnages de légende, redoutés du CDPD et admirés de tous ceux qui passaient le cap des 70 ans. Fred réussit à se faire photographier dans le maquis et son portrait s’afficha bientôt en douce dans les maisons des plus âgés. Il trouva un nom pour son groupe de réfractaires, « Les Renards blancs », et un slogan pour les rassembler : « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. »
(à suivre)
Il est vrai que depuis quelques temps on cherche à formater notre jeunesse dans une pensée unique !
J’ espère que les retraités qui s’étaient laissé tenter par la tête et le discours du jeune premier, auront compris, et le feront savoir à la prochaine échéance !
L’ exemple attire , et plus on est, plus on est fort, et plus on nous craint
Bonne journée Françoise
Bisous
tres belle histoire et un beau slogan “tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir!”… parmi mes enfants, certains croient qu’i vont retrouver le monde d’avant, personnellement je n’y crois pas, nous avons l’occasion de changer d e vie, je crois qu’il faut en profiter, avant que le monde aille à sa perte , c’est peut etre un avertissement ! ne laissons pas passer l’occasion, porte toi bien chere Françoise, ainsi que les tiens, grosses bises