Deuxième partie de “La dernière révolte”, extrait de “L’arbre des possibles et autres histoires” de Bernard Werber.
-“Impossible ! Ce serait trop…” – “Oh, ils ne nous éliminent pas sur-le-champ. Ils nous gardent un peu, au cas où nos enfants changeraient d’avis.” – “Mais comment les gens peuvent-ils accepter de se laisser piquer ? ” – “On leur dit qu’on leur administre un vaccin contre la grippe.” Long silence.
– “Et comment savez-vous cela, monsieur Foultrant ?” Il n’avait pas répondu. – “Ce sont des rumeurs”, avait tranché Frédéric. “Je suis sûr qu’il ne s’agit que de rumeurs. Le monde ne peut pas être aussi dur. Vous avez imaginé cette histoire.” – “Je vous envie de voir la vie en rose. Mais mon père disait déjà : « Les optimistes ne sont que des gens mal informés »”, avait conclu M. Foultrant en soupirant. En bas, les sbires du CDPD faisaient sauter la porte avec un pied-de-biche. Leurs gestes étaient assurés, quasi mécaniques. Ils devaient faire ça dix fois par jour. – “Ne craignez rien ! “criaient-ils. “Tout se passera bien, n’ayez pas peur.”
Dans un geste de désespoir, Fred attrapa Lucette par la taille et d’un bond, ensemble, ils sautèrent par la fenêtre. Le tas de poubelles amortit leur chute. Fred, déterminé, bondit, tira Lucette par le bras, se précipita dans le bus du CDPD et, devant les préposés médusés restés sur le trottoir, il s’installa au volant et démarra en trombe. Il roula longtemps vers la montagne. A l’arrière, les vingt autres anciens étaient encore sous le choc. Lorsque le moteur s’arrêta, il y eut un long silence. – “Je sais”, remarqua Fred. “Nous avons peut-être commis une grosse sottise, mais j’ai pour habitude d’écouter mes intuitions et là, le CDPD ne me disait vraiment rien qui vaille.” Les autres le regardaient, toujours ébahis. Ils hésitèrent, puis M. Foultrant lança un « Hourra ! » qui après un temps fut repris par tous les passagers à l’exception de l’un d’entre eux : – “Nous allons mourir,” dit Langlois, un octogénaire ratatiné.
“De toute façon, nous étions condamnés à périr au CDPD”, rétorqua Fred qui, soudain, ne tremblait plus du tout. Les Foultrant et les autres anciens s’empressèrent de remercier et de féliciter leur couple de héros mais Fred les interrompit : – “Pas de temps à perdre. La police ne va plus tarder à apparaître. Dépêchons-nous de nous réfugier dans la montagne.”
Parvenus dans la forêt, les évadés furent saisis d’angoisse. – “Il fait froid.” – “C’est plein de bêtes sauvages par ici.” – “J’ai faim !”- ” Il y a sûrement des araignées et des serpents.” – ” Les piles de mon pacemaker sont en train de se décharger.” – “Je suis sous antibiotiques.” Fred les fit taire. Il leur parla calmement et s’imposa vite comme leur chef. Après tout, il les avait tirés de leur cage, à lui donc de les prendre en main. Ils ne pouvaient allumer un feu tant que la police les rechercherait activement. En revanche, il était urgent de dénicher une grotte pour s’y abriter. Le sang-froid de Fred subjugua les autres.
Une heure plus tard, ceux qui étaient partis explorer les lieux revenaient en annonçant avoir découvert une caverne de bonne taille. Tous s’y rendirent. – ” Ici, nous pourrons allumer un feu sans danger”. Mme Salbert, une grande fumeuse malgré son cancer du poumon, sortit son briquet-tempête. On entassa branchettes et brindilles, mais en bon Robinson amateur, Fred ne s’avéra guère doué pour cette forme nouvelle de scoutisme. La fumée envahit la caverne et ils durent se hâter de sortir pour respirer au grand air. Un vieillard de forte corpulence n’en eut pas le temps. A force de tousser, il fut victime d’une crise cardiaque. Ses compagnons l’ensevelirent à fleur de terre, après une cérémonie funéraire improvisée. – “Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle… Adieu Gontrand.” Après l’enterrement, Langlois, ancien journaliste scientifique, proposa un système d’évacuation des fumées de la caverne au moyen d’un trou creusé dans le plafond de terre. Ce fut leur première leçon de survie.
Le lendemain, ils décidèrent de chasser. Sans arc mais avec une bonne grosse pierre, M. Foultrant parvint à écrabouiller un écureuil malchanceux : leur premier repas. Le surlendemain, la forêt se vengea. Mme Foultrant décéda en chutant étourdiment de tout son long, bousculée par un lièvre récalcitrant. On l’enterra. Ils n’étaient plus que vingt.
(à suivre)
en prenant de l’âge, on ne perd pas son caractère et son tempérament, mais le physique ne suit pas forcément !
LE modernisme fait perdre les réflexes de survie, mais quand on n’a plus rien à perdre, on peut tout tenter
Bonne journée Françoise
Bisous
…evasion des vieux, et retour aux temps prehistoriques, excellent texte ! je ne connaissais pas cet ecrivain, je lis beaucoup sur liseuse numerique, j’ai vu que tous ses ecrits sont à la FNAC je vais en telecharger quelques uns , merci chere Françoise, portez vous bien,; amities et bises