Quand ma grand-mère chérie, mauriennaise, me racontait son enfance et ses Noëls d’antan, ce n’était pas de cadeaux, sapins, guirlandes, décorations et compagnie dont elle me parlait mais de misère et de faim, de Noëls où il faisait froid et où les cadeaux se résumaient à RIEN bien souvent ; elle était contente d’un maigre repas pour combler sa faim, d’une babiole fabriquée par son père, une nouvelle paire de sabots, un fichu… Elle me disait que souvent chez elle, ce jour-là, on dansait devant le buffet, comme d’autres jours de l’année et comme d’autres gens de la région car la Maurienne au début du XXème siècle n’était pas riche
La première fois qu’elle m’a dit cela, j’ai trouvé que c’était une drôle d’idée de danser devant le buffet mais après tout, pourquoi pas, puisque bouger ça réchauffe et que les hivers étaient particulièrement rigoureux. Elle m’a alors expliqué que “Danser devant le buffet” n’était pas une réalité mais une expression qui signifiait n’avoir rien à manger ; jeûner de force. Et là, ça devenait beaucoup moins drôle. Comment survit-on à la faim ?
Ma grand-mère a connu à nouveau la faim durant la Seconde Guerre Mondiale ; j’ai vu des photos d’elle à cette époque et son physique n’avait rien d’enchanteur, elle n’était pas loin de ressembler à ceux qui revenaient de Dachau ou Buchenwald ; elle se privait car elle avait choisi de nourrir sa fille (ma mère). J’ai compris alors son insistance à me faire manger de tout et à vouloir gaver toute la famille. Comme il y avait de quoi manger, il fallait en profiter, avaler de préférence du consistant et toujours des pommes de terre, sans elles ce n’était pas un repas complet. Il y en a long à raconter sur les repas de mon enfance…
Je reviens à cette expression “danser devant le buffet”, ma grand-mère était créative dans le domaine du langage mais là, elle n’était pour rien dans cette “tournure” qui vient d’un calembour datant probablement de la fin du XVIIIe siècle quand fringaler voulait dire danser, combinaison des verbes fringuer qui signifiait sauter, gambader, et de galer, se réjouir.
Chacun sait que la fringale, sens toujours actuel, est le besoin impérieux de manger, une sensation de faim extrême et non pas une nouvelle danse, alors partant de l’idée d’avoir faim devant le buffet vide pour arriver à celle de fringaler (danser) devant ce meuble, il n’y a eu qu’un pas, vite fait. L’expression a pris alors son sens.
Ce n’est malheureusement pas de danser devant un buffet mondain qui donnait faim (encore que…on pourrait le concevoir) mais vraiment cette sensation de faim intense qui faisait remuer les ventres vides et les têtes pleines de rêves de nourriture des pauvres devant les meubles de cuisine désespérément désemplis.
De temps en temps, je me demande s’il existe encore en France des gens aussi démunis que le furent ma grand-mère et sa famille. J’espère que non mais il y a depuis trente-trois ans les Restos du Cœur. Cette durée, ce n’est pas bon signe.
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Je pense à ceux qui ont faim comme la cigale de la Fontaine, vous vous souvenez :
La cigale… alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain …
La Fourmi n’est pas prêteuse ;
…
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
…
— Vous chantiez ? j’en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant. »
Et de là, Stromae : Alors On Danse
Alors on danse, alors on danse, alors on danse
Qui dit études dit travail
Qui dit taf te dit les thunes
Qui dit argent dit dépenses
Et qui dit crédit dit créance
Qui dit dette te dit huissier
Et lui dit assis dans la merde
Qui dit amour dit les gosses
Dit toujours et dit divorceQui dit proches te dit deuils
Car les problèmes ne viennent pas seuls
Qui dit crise te dit monde
Dit famine et dit tiers-monde
Et qui dit fatigue dit réveille
Encore sourd de la veilleAlors on sort pour oublier tous les problèmes
Alors on danse, alors on danse
Alors on danse, alors on danse
Alors on danse, alors on danse
Alors on danse, alors on danse
Alors on danseEt là tu t’dis que c’est fini
Car pire que ça ce serait la mort
Qu’en tu crois enfin que tu t’en sors
Quand y en a plus et ben y en a encore
Est-ce la zic ou les problèmes, les problèmes ou bien la musique
Ça t’prends les tripes
Ça te prends la tête
Et puis tu pries pour que ça s’arrête
Mais c’est ton corps c’est pas le ciel
Alors tu t’bouches plus les oreilles
Et là tu cries encore plus fort et ça persiste
Alors on chante…
Et ça recommence, on chante, on danse, on mange, on travaille…
Est-ce que vous vous souvenez de ça : la Cicrane et le froumi ?
Et de Pierre Péchin ? Fable de La Fontaine revisitée.
Merci pour toutes ces explications et, comme j’ai le temps, ce matin, je me suis régalée avec tes vidéos : excellentes !!!
En plus, je laisse ta chanson, que j’adore, pour continuer mes visites.
Ce sera mieux que la télé qui est, comme souvent, au ras des pâquerettes …
j’ ai encore en tête ces photos des enfants yéménites affamés, et bien que les merdias n’ en parlent pas, de ces millions d’ êtres humains qui se contenteraient d’ un quignon de pain !
Je me souviens aussi de ces noëls, où nous étions content d’ avoir une orange !
Aujourd’ hui, quand on voit l’ affaire Ghosn, on ne peut que penser que ce monde va mal !
Merci pour l’ explication de cette expression que je ne connaissais pas !