Je n’ai pas vraiment envie de sourire aujourd’hui. Il pleut. Il fait gris. L’Espagne va mal, je ne parle plus de la Grèce, de la France, de l’Italie. Je me demande comment tout cela va finir ? Mais au fait, connaissez-vous bien Marat ? Oui, le Marat de la baignoire, celui de Charlotte Corday, celui du tableau de David et de nos vieux livres d’Histoire.Jean-Paul Marat, né en 1743 et mort à Paris le 13 juillet 1793 est un médecin, physicien, journaliste et homme politique (multiples activités comme beaucoup à cette époque) français. Il fut député montagnard à la Convention à l’époque de la Révolution. Il a longtemps été considéré comme le principal responsable des massacres de Septembre. Son assassinat par Charlotte Corday (guillotinée le 17 juillet 1793, on ne chipotait pas au tribunal en ce temps-là) permit d’en faire – un court laps de temps – un martyr de la Révolution.
Les horreurs dont on l’a accusé n’enlèvent rien à sa clairvoyance. Voici deux textes qu’il a écrits et publiés, puisqu’il était journaliste et signait des articles dans un journal qu’il avait fondé “L’ami de Peuple”. Ce fut aussi le surnom de Marat : “L’ami de Peuple”, pendant un moment ; durant les périodes mouvementées, les vents tournent rapidement, les opinions changent et les têtes tombent.
Voilà deux de ses écrits vieux de deux cent vingt ans (220).
Ruiner les peuples
Pour asservir les peuples, les princes travaillent à appauvrir leurs sujets riches et corrompus, comme ils ont travaillé à enrichir leurs sujets pauvres et agrestes : ainsi, après leur avoir donné tous les besoins du luxe, ils leur ôtent les moyens de les satisfaire.
Avec des biens au-dessus d’une condition privée et les désirs de l’ambition, il est sans doute fort difficile d’être bon citoyen ; mais il est impossible de l’être avec les besoins de la mollesse et les regrets d’une grande fortune. Des hommes corrompus par l’opulence, soumis par leurs besoins et honteux de leur pauvreté, sont nécessairement faits pour la dépendance et la servitude.
C’est une des maximes favorites du gouvernement que si les peuples étaient trop à leur aise, il serait impossible de les soumettre au joug. Aussi s’attache-t-il à les accabler d’impôts qui découragent l’industrie, ruinent le commerce, détruisent les arts, les manufactures, la navigation. Et comme si cela ne suffisait point encore, par les divers moyens qu’il emploie pour les fouler, souvent il a recours à l’usure et aux exactions.
Non content de lever des impôts, d’avoir le maniement des deniers publics et de s’approprier les terres des vaincus, le Sénat de Rome avait pour maxime de fouler les plébéiens par l’usure. Sous lui, les Gaules étaient accablées d’impôts : telle était la rapacité des procurateurs et des gouverneurs, qu’ils pillaient de toute main ; tandis que les Italiens qui avaient accaparé tout le commerce exerçaient l’usure et prêtaient à de gros, intérêts qui absorbaient bientôt le principal. Les particuliers n’étaient pas seuls ruinés ; les différentes peuplades qui avaient beaucoup emprunté pour acquitter les impôts, se trouvant à la fois obérées par l’accumulation, défoulées par de nouvelles exactions, furent obligées d’aliéner les revenus publics. La continuation des impôts en pleine paix, l’excès de l’usure, et les contraintes par corps exercées contre les débiteurs, réduisirent les Gaulois au désespoir et les poussèrent à la révolte. Forcés d’abandonner leurs propriétés pour sauver leur vie, un grand nombre se vendirent en esclavage.
Les monopoles de tout genre sont aussi un moyen auquel les princes ont recours pour ruiner leurs sujets. Chaque année, le pape envoie des facteurs qui accaparent tout le grain du patrimoine de Saint-Pierre pour le revendre deux fois plus cher et à plus petite mesure. En Russie, l’empereur afferme une multitude de tavernes où le peuple va dépenser tout ce qu’il gagne, et telle est la cupidité du prince, qu’il est défendu aux femmes et aux enfants que ces ivrognes laissent mourir de misère, de venir les en arracher pour aucune raison dans la crainte de diminuer ses revenus. Telle était autrefois la politique des gouvernements : de nos jours elle est plus raffinée ; le prince emprunte à gros intérêts l’argent de ses sujets et leur créance devient une chaîne qui resserre doublement les noeuds de leur dépendance. D’une part, elle est un gage de la soumission des citoyens, toujours tremblants de fournir un prétexte aux confiscations et aux banqueroutes, s’ils venaient à se soulever ; de l’autre part, les sommes fournies donnent au gouvernement les moyens d’écraser ceux qui les lui ont confiées.
Puis, lorsque le moment est venu, en réduisant les intérêts en les retenant en entier, ou même en confisquant les fonds qui amènent d’un seul coup leurs sujets au point de misère où les autres n’amenaient les leurs qu’à la longue.
Lorsque le gouvernement s’est décrié par son manque à foi, pour faire renaître la confiance, il ouvre de nouveaux emprunts, auxquels les revenus de l’Etat sont hypothéqués et il allèche les prêteurs par de grands avantages attachés à leurs titres, qu’il rend négociables. Or, la création de ces titres lie toujours étroitement l’intérêt des capitalistes à celui du prince tandis que leur administration et leur négociation lui mettent toujours sous la main une foule de spéculateurs, d’actionnaires, et d’agioteurs prêts à concourir à ses projets ambitieux et à l’aider à enchaîner le peuple. Or, tous ceux qui prennent part à ces honteux trafics deviennent, en toutes rencontres, les zélés apologistes du ministère le plus corrompu, élèvent leurs clameurs contre les plaintes des patriotes, étouffant la voix publique, entraînent dans leur parti les avares, les faibles, les fainéants, les lâches et forment enfin dans l’Etat une faction puissante en faveur du despotisme. Chez les Anglais, on n’en est jamais venu là, mais ces prêts ne laissent pas que de les lier fortement : car une fois que le gouvernement est débiteur, les sujets, sentant que tout est perdu si les colonies sont conquises et les branches du commerce envahies, sont toujours prêts à faire de nouvelles avances pour les défendre ; or, ces avances peuvent être employées contre leur fin. Ajoutez que si, pour assurer le fonds des intérêts, il fallait faire des règlements destructeurs de la liberté, les intéressés, c’est-à-dire la partie la plus opulente de la nation y donnerait enfin les mains plutôt que de courir les risques d’être ruinée. Or, ces règlements ne sont pas des suppositions chimériques. Qu’on se rappelle les lois de l’excisa.
Une vexation en entraîne une autre plus cruelle encore. Lorsque la confiance est détruite, et que la bourse des citoyens est fermée, le gouvernement, forcé de recourir aux emprunts, s’adresse aux traitants qui ne prêtent qu’à gros intérêts ; il leur hypothèque les revenus de l’Etat souvent par anticipation ; quelquefois il leur accorde des privilèges qui vont toujours aux détriments du commerce et qui préparent la ruine de la nation : jusqu’à ce que, violant lui-même ses engagements, il s’empare des fonds hypothéqués et fasse rendre gorge aux vampires dont la fortune publique était devenue la proie ; c’est ce qui est arrivé sous le régent, lors du système de Law… Quelquefois pour appauvrir leurs sujets et s’enrichir de leurs dépouilles, ils dégradent le titre des espèces, dont ils détruisent la valeur intrinsèque, sans changer la valeur fictive ; funeste expédients dont nous avons encore l’exemple sous les yeux : d’autres fois ils exercent contre les citoyens les plus affreuses extorsions, jusqu’à les jeter en prison pour les forcer à racheter leur liberté par de fortes rançons.
Pour avoir un prétexte de dépouiller ses sujets opulents, Henri VII les faisait accuser de quelque délit et les jetait en prison où il les laissait languir jusqu’à ce qu’ils se rachetassent par le sacrifice de leur fortune. Jean de Portugal condamna les Juifs qui avaient de la fortune à perdre une ou plusieurs dents, qu’ils pouvaient toujours conserver en capitulant.
De la sorte tout l’or enlevé aux citoyens devient la proie des courtisans et des millions de sujets sont condamnés à la misère pour fournir au faste scandaleux d’une poignée de favoris dont l’exemple contagieux enchaîne au char du prince tous les intrigants cupides et ambitieux ; c’est ainsi que les peuples sont conduits par degrés de l’aisance ou de l’opulence à la pauvreté, de la pauvreté à la dépendance, de la dépendance à la servitude jusqu’à ce qu’ils succombent sous le poids de leurs chaînes.
Réflexions sur les dettes du gouvernement devenues nationales
Les dons patriotiques se multiplient chaque jour ; les citoyens de tous les rangs s’empressent de porter leur offrande ; est-ce l’amour de la patrie ? Est-ce l’envie de se distinguer ? Est-ce mauvaise honte de ne pas se montrer ? Peu m’importe. Mais il importe beaucoup au salut de l’Etat de faire quelques réflexions sur ce sujet.
Qu’appelle-t-on la dette nationale ? Les dépenses énormes où le faste et les vices scandaleux de la cour, l’inconduite, les dépradations et les folies du gouvernement ont entrainé la nation ; les dons immenses que le prince a prodigués et prodigue encore à ses créatures ; les engagements onéreux qu’il a contractés pour anticiper sur les revenus publics. Et c’est par des transactions aussi criminelles que l’Etat est à deux doigts de sa perte ! Et c’est pour consacrer des engagements de cette nature que la nation se constitue solidaire ! Et c’est pour assurer les moyens de les remplir que le premier ministre des finances, après avoir perdu la nation en leur inspirant la science de l’agiotage, grève chaque citoyen d’un impôt vexatoire !
Et c’est pour les consacrer que les classes les plus indigentes se privent de leur dernière ressource ? Loin de nous l’idée odieuse de vouloir détourner ou tarir la source des richesses qui restent à la patrie, mais craindrions-nous de l’épurer et de la diriger ?
Le ministre connait à fond tous les faibles côtés des français ; il a spéculé sur leur sotte vanité.
Qu’à la sollicitation, le prince envoie sa vaisselle d’argent à la monnaie, c’est un acte d’ostentation peu méritoire. Que lui fait la perte d’une argenterie entassée dans ses buffets ? Sa table n’en est pas moins ouverte. Que dis-je, c’est un faux sacrifice, onéreux à l’Etat : bientôt cette superbe vaisselle sera remplacée par une vaisselle plus superbe encore.
Que les ministres opulents imitent l’exemple du prince : rien de mieux ; le faste jure avec leur caractère apostolique et le sacrifice de leur vaisselle n’est qu’une petite restitution du bien des pauvres dont ils jouissent et des appointements énormes qu’ils tirent de l’Etat.
Qu’un duc verse 100.000 livres dans le Trésor Public, rien de mieux ; c’est une petite restitution des brigandages des ses ancêtres ou des largesses de quelques-uns de ses tyrans qui affamaient leur peuple pour engraisser leurs favoris.
Qu’un financier verse 10.000 écus dans le Trésor Public, rien de mieux ; c’est une petite restitution des vols qu’il a faits à l’Etat.
Que des communautés religieuses abandonnent tous leurs biens à l’Etat en se réservant une modeste pension, rien de mieux ; c’est lui restituer des fonds dont la superstition l’avait privé.
Mais que des indigents se cotisent pour donner à l’Etat le denier de la veuve ; qu’un ministre opulent les y invite sans pudeur, et que l’assemblée nationale y souscrive sans examen, voilà de ces traits inconnus dans l’histoire et réservés aux annales de nos jours. O Français ! Serez-vous donc toujours dans l’enfance, ne réfléchirez-vous jamais et faudra-t-il, sans cesse que l’ami du peuple vous désille les yeux !
Quoi ! C’est pour assurer la créance des rentiers, soudoyer les pensionnaires du prince, des ambassadeurs inutiles, des gouverneurs et des commandants dangereux, des femmes galantes des chevaliers d’industrie, des académiciens ignares et fainéants, des sophistes soudoyés, des saltimbanques aériens, des histrions, des baladins, des ministres ineptes, des exempts de police, des espions et cette brillante tourbe des créatures du prince qui forment la chaîne des instruments de la tyrannie, que de pauvres artisans, de pauvres ouvriers, de pauvres manoeuvres, qui ne gagneront jamais rien, ni aux marchés ministériels, ni aux révolutions, achèveront de donner leurs tristes dépouilles ! Quoi ! C’est pour payer les friponneries des agioteurs, le brigandage des traitants, et conserver la fortune de leur propres ennemis, de leurs dépradateurs, de leurs tyrans, que vingt millions d’hommes se réduisent à la mendicité ! Ah reprends tes haillons, homme infortuné ; apaise ta faim, et s’il te reste encore un morceau de pain à partager, regarde tes frères prêts à périr de misère.
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Aujourd’hui alors que planent des menaces de faillite de plusieurs états européens comme la Grèce, que les gouvernements annoncent aux peuples qu’ils devront payer les dettes qu’ils n’ont pas contractées eux-mêmes, ces textes de Marat montrent que la question de la dette n’est pas nouvelle. La spéculation et l’enrichissement grâce à la dette publique est aussi vieille que le capitalisme et les privilèges.
Ô peuple, indigne-toi, révolte-toi, cette dette n’est pas la tienne, si tu acceptes de la payer, tu ne fais que renforcer tes exploiteurs : les spéculateurs de connivence avec l’Etat. Ils ne valent pas plus chers que les Ben Ali, Bokassa, Ratsiraka, Duvallier ou autres oppresseurs, dictateurs, les gouvernants “bling bling”, profiteurs qui nous pressurent.
Des syndicalistes et des journalistes veulent nous faire croire que les marchés financiers contraignent les états et les obligent à mener des politiques d’austérité ou de développement selon les moments, il n’en est rien, Marat nous fait bien comprendre qu’il n’y a pas contrainte, l’Etat et les spéculateurs ont passé des accords plus ou moins tacites. Chacun fait son beurre avec notre lait. Nous produisons, ils spéculent, profitent. En résumé nous engraissons des fainéants notoires, malhonnêtes, intelligents parfois, j’ai envie d’ajouter ce que je pense plus juste : toujours corrompus, vicieux.
Certains passages des articles de MARAT pourraient être reproduits aujourd’hui sans qu’un mot ne soit changé ; les problèmes financiers restent en grande partie les mêmes.
Il parait que les révolutions ont toujours commencé par une histoire de dette, c’est ce que j’ai entendu dans une émission d’Histoire à la télévision, à midi. Alors, ça craint vraiment. Non ?
Chère Françoise,
Si je passe par Google, je ne vois toujours pas tes articles. Tout s’est arrêté le 12 novembre. Là, je suis venue par Mozilla.
Ton article prouve que rien ne change, le titre de mon article de ce jour !
Comment peut-on se faire avoir ainsi depuis toujours ?
Moi, je crois qu’un révolution est encore nécessaire, mais pourvu qu’elle ne soit pas dans le sang. Déjà, il y a des blessés un peu partout chez les indignés qui sont de plus en plus nombreux, d’ailleurs.
En Espagne, j’ai vu que c’était vraiment catastrophique, qu’est-ce qui nous attend ?
Bon, sur cette note “optimiste”, je te laisse et t’envoie toute mon amitié.
surprenant en effet !
On dit de l’ histoire que c’ est un éternel recommencement, force est de le constater une fois de plus !
Mais dans cette même logique, il faut s’ attendre à ce que de nouveaux Danton, Marat, St Just nous amènent à une révolution pour moi incontournable !
On voit que la démocratie s’ est dévoyée !
il faudrait un despotisme éclairé, comme disait Voltaire, mais est ce possible ?
bonne journée
bisous
C’est de toute façon un éternel recommencement !!! Mais ce qui me navre c’est que des erreurs du passé on ne retient aucune leçon !!! Bonne journée
J’ai lu…deux fois ! Que dire de plus ? On se croirait à notre époque, mêmes maux, mêmes conséquences. Le texte de MARAT semble prémonitoire…Ainsi que vous le dites, “ça craint” et j’ai peur…
Même motif, même punition…
Eternellement le même monde.
Bon week end Françoise.
Bisous
Oui, ça craint…
Je suis toujours étonnée de voir à quel point l’histoire ne fait que se reproduire, de siècle en siècle… Mêmes causes, mêmes effets, mais pas de leçon tirée des événements du passé.
Comme si nous devenions amnésiques…
J’espère pourtant qu’un jour ceux qui ont le pouvoir sauront s’en servir pour le bien de tous et non pour celui de quelques uns.
Passe une belle fin de semaine, Françoise. Merci pour ce texte que je ne connaissais pas.
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