Bleu, le pays de Cocagne (3)

Bleu vient de l’ancien bas-allemand « blao » qui signifiait brillant. Bleu a des synonymes comme azur de l’arabe azraq et cyan du grec kyanos.

Le bleu est une des trois couleurs primaires dans la synthèse additive (la synthèse additive est le principe de composition des couleurs utilisé pour la projection des images, basé sur la lumière). Le cyan est une nuance de bleu qui est également l’une des trois couleurs primaires dans la synthèse soustractive (imprimerie, peinture ; cours de dessin ).

Bien que le ciel et la mer soient bleus, cette couleur est, semble-t-il, rare dans la nature : il y a beaucoup moins de fleurs bleues que de fleurs  blanches, rouges ou jaunes, non ?

Le bleu est abondant dans ces grands espaces que sont  le ciel et la mer (bleu marine, tendance en ce moment ?). J’ai un peu oublié ce que ma fille aînée Aurélie m’a expliqué quand elle était en Classe prépa, une histoire d’ondes comme pour la synthèse additive des couleurs ; les longueurs d’onde faibles du spectre visible (le bleu) sont plus diffusées que les fortes (le rouge) et si la mer est bleue, ce n’est pas un reflet du ciel mais toujours un problème de longueur d’onde auquel on ajoute de la physique et de la chimie : activité biologique de la mer. Mais j’ai oublié, ce n’est pas poétique et je ne suis pas une scientifique.

De plus, le bleu est une couleur qualifiée traditionnellement de froide par opposition aux couleurs chaudes (jaune, orange, rouge) qui sont les couleurs du feu et non seulement j’ai du sang andalou, mais en plus je suis du signe du Lion, alors… ma couleur favorite, vous l’avez déjà lu dans de précédents articles est le ROUGE. Il n’empêche que les autres couleurs existent et que j’ai l’intention d’en parler. Le jaune est sous le coude. En attendant, je décortique, j’explore le bleu.

La rareté des pigments bleus en a donc fait le parent pauvre de la famille pigmentaire. Difficiles à fabriquer et maitriser avant l’arrivée des pigments de synthèse, les pigments bleus étaient rares et plus coûteux. C’est pourquoi cette couleur symbolisait la richesse.

Cette difficulté à produire du bleu s’est avérée encore récemment au niveau des diodes électroluminescentes. Les premières diodes lumineuses (rouges et vertes, puis jaunes et orange) ont été inventées et produites dans les années 1960, mais il a fallu attendre la fin des années 1990, soit plus de 30 ans, pour que l’on parvienne à produire des diodes bleues.

Le premier pigment bleu fut découvert par les Egyptiens et obtenu à partir de l’azurite, un minéral naturel (carbonate de cuivre) mais au cours de la II° dynastie, les Egyptiens mettent au point un bleu à partir de verre coloré au cuivre et broyé en poudre pigmentaire, que les Romains adoptent sous le nom de bleu d’Alexandrie et qui devient plus tard le bleu égyptien. La recette se répand rapidement à travers le monde antique mais se perd au cours du Moyen Age.

L’indigo foncé est connu dès l’Antiquité : il est obtenu en broyant des feuilles de guède (isatis tinctoria). Sa culture en Languedoc à partir du XIIe siècle va faire la richesse de la région : c’est le bleu de guède ou bleu de pastel, concurrencé au XVIIIe par le bleu d’Inde (indigo).

Le pays de Cocagne c’est la terre de guède, herbe du Lauragais. L’Isatis Tinctoria est une plante aux mille noms. Ordinaire, laide à voir, diront certains, mais chargée de vertus. Les Egyptiens en faisaient un baume cicatrisant, les Grecs s’en servaient pour soigner la jaunisse et les verrues.

Au Moyen-âge, elle devient la plante du bleu, teinte mystérieuse et immatérielle, celle de l’air et de l’eau, du manteau azur du souverain. Bleu de la Royauté, de la justice, de la sagesse. Et déjà bleu de France.

On semait le guède à la lune de mars et on le récoltait de juin à novembre : plante généreuse mais fragile à la rouille et surtout épuisante pour la terre et les hommes.

La culture du pastel était un vrai savoir-faire : pour le produire, il fallait labourer, semer puis récolter les feuilles qui étaient ensuite séchées, réduites en bouillie puis mélangées à de la pulpe d’ail pilé. Enfin, les célèbres cocagnes étaient fabriquées, ces petites pelotes gluantes qu’on séchait durant six semaines. Les cadences étaient rapides : un manouvrier en moulait deux par minute. Une fois dures, les coques étaient brisées à la masse ou au moulin, puis remouillées à l’eau et à l’urine. Pendant quatre mois, on remuait une quarantaine de fois ce liquide verdâtre et visqueux : c’est là que le pastel prenait sa force.
Il pouvait garder toute sa vigueur colorante au moins dix ans : son bleu tenace et profond résistait au soleil et aux lavages. L’agranat, à nouveau séché et concassé, était enfin emballé dans des sacs de toile plombés, marqués aux armes du lieu où l’on avait testé sa qualité. Si vous voulez en savoir plus, allez lire sur ce site http://ot.lautrec.free.fr/pastel.htm

De Toulouse, grand centre de collecte et redistribution, les charrettes partaient, vers les routes du pastel de Bordeaux, Avignon et jusqu’à Burgos, en Espagne. Du champ à l’échoppe, se succédait une chaîne complexe de corporations et de métiers : il fallait de nombreux tâcherons à l’hectare pour le récolter, puis une armée de meuniers, rouliers, emballeurs, peseurs, teinturiers pour le transformer en cocagne, enfin un grand nombre d’intervenants pour le transporter : muletiers, charretiers, bateliers…

Le pastel valait le prix de la sueur.

L’Albigeois ainsi que le Lauragais furent aussi des pays de cocagne.

Mais, cet âge d’or du pastel que l’on croyait éternel, s’acheva vers 1560.

Un autre bleu arriva d’Orient et s’acclimata partout au climat européen tempéré. Prolifique et bon marché : l’indigo sonna le glas du Pays de Cocagne et de sa florissante économie pastelière…

Pendant tout le Moyen Age, les seuls bleus disponibles pour les peintres sont le bleu lapis-lazuli (le ‘’bleu outremer’’) venu d’Afghanistan et le bleu d’azurite, moins précieux. Au XVe siècle (ré)apparaît le smalt, mis au point à partir de verre coloré au cobalt puis broyé. Il sera très prisé des peintres flamands.

Je passe sur le bleu de Prusse qui changea les choses en 1704 et que j’ai mentionné dans l’article précédent. Clic pour relire.

Le bleu de cobalt est découvert un siècle plus tard, en 1828, un pigment de synthèse capable d’imiter  l’outremer véritable si onéreux, suivi par le bleu ceruleum, autre bleu à base de cobalt, mis au point en 1860.

Au XXe siècle l’industrie des colorants a contribué à la mise au point du bleu de phtalocyanine, appelé à ses débuts bleu monestial.

En 1960, Yves Klein, peintre, a breveté un bleu très particulier, bleu profond sous le nom de IKB (International Klein Blue). Un des monochromes bleu IKB3 est exposé au Centre Georges Pompidou à Paris. Illustration photographique trouvée sur le site http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Klein/ENS-klein.htm. Je ne parlerai pas d’art moderne. Pas envie, trop long.Le bleu de méthylène est un produit utilisé en biologie pour la coloration des cellules en vue de leur observation, et en médecine comme antiseptique ;  il existe aussi le bleu de Millian qui apaise la peau irritée par la chaleur, la peau des bébés qui ressemblent alors à des Schtroumpfs.

Le bleu de bromothymol est un indicateur coloré chimique employé pour déterminer l’acidité (le pH) d’une solution.

Si la physique et la chimie, la science sont des sujets sans aucun doute intéressants, je leur trouve tellement moins d’attraits que l’histoire des régions et de leurs habitants.  Le pays de Cocagne en a fait rêver plus d’un, comme les mâts de cocagne des fêtes du temps jadis. En haut du  mât des denrées à portée de main (une seule pour attraper, il faut bien se tenir) de ceux qui pouvaient monter au sommet pour décrocher, non pas la Lune, mais le jambon de préférence.J’ai trouvé cette illustration sur le blog http://switchie2.wordpress.com/2008/01/20/la-vie-parfois-cest-comme-un-mat-de-cocagne/ ; je vous conseille de lire cet article plein d’émotion. Cliquez sur le lien pour y arriver.

Cela veut bien dire que l’on n’obtient rien sans effort ; est-il besoin de le rappeler ?

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8 réflexions sur « Bleu, le pays de Cocagne (3) »

  1. Bonjour chère Françoise,
    Sais-tu que le pastel est produit à nouveau dans le Gers et qu’il y a un “musée” à visiter à Lectoure ? J’en avais fait un article, sûrement avant que tu viennes sur mon blog.
    Je suis allée voir l’article dont tu parles à la fin au sujet du mât de cocagne. C’est vrai qu’il est touchant.
    Espérant que tu vas bien, je te laisse et te souhaite une excellente journée.
    Bises bien amicales.

  2. bien sympa l’histoire du bleu ! une couleur que nous adorons …ah le mat de cocagne, c’est vraiment très très loin dans nos souvenirs…de vieux ! merci pour ce bel article, bonne journee et bisous chere Françoise

  3. Je ne sais pas pourquoi , mais j’ai une grande attirance pour le bleu , dans ma région le ciel est souvent bleu , heureusement car dès qu’il est gris je deviens triste.
    Une couleur différente des autres qui a cette influence
    Un bien joli article que j’aimais lire , je sais que le bleu pastel est refait comme avant.

    Par contre je ne sais pas ce qui se passe sur OB mais encore ce matin c’est vraiment difficile de poser un commentaire

    Douce journée , Françoise

    Bisous

    timilo

  4. j’ ignorais tout de l’ isatis tinctoria, mais comprends mieux que le renard polaire porte ce nom d’ isatis !
    je penses aussi à la langue bleue du chow-chow, comme à celle du scinque berbère.
    et l’ illustration du mât de cocagne, m’ a, dieu sait pourquoi, fait penser aux papegais !
    bonne journée
    bisous

  5. bonjour Françoise
    je viens d’apprendre beaucoup de choses sur le bleu aujourd’hui et c’est une couleur que j’aime beaucoup
    je viens de lire qu’un de tes amis(timilo) écrit” qu’ob ne fonctionne pas ce matin”,moi je n’ai pas eu de problème
    en espérant que tu vas bien
    je te souhaite une bonne fin de journée
    gros bisous
    janine

  6. J’aime le bleu depuis toujours ! Pourquoi ? alors ça….
    Quel travail sur le bleu…et combien de bleus sont de travail… On met cette couleur à toutes les sauces ! Moi, j’en ai orné les yeux de mes enfants et de mes petits-enfants (sauf un !)…il faut dire que mon mari était breton aux yeux…bleus ! ça vous marque une famille !
    Belle documentation comme toujours…

  7. Ping : Le château de Laréole | FrancoiseGomarin.fr

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