Etes-vous sensibles à certains chants que l’on dit patriotiques ? Moi oui. Je l’avoue, je pleure chaque fois que j’entends “La Marseillaise”. Certains me disent : “Mais comment peux-tu aimer cet hymne aux paroles si cruelles ?” Je réponds que je me sens citoyenne française. J’ajoute souvent que les Anglais aiment bien le “God save the Queen” et côté gracieuseté, la Reine a quelques kilomètres au compteur et un air pas particulièrement épanoui et, en ce qui concerne les Italiens, leur hymne “Fratelli d’Italia” (frères d’Italie), qui ressemble un peu trop air d’opéra, fait référence au sang et à la mort. Nous n’avons pas à rougir de nos sillons abreuvés d’un sang impur. Les Italiens chantent bien la fin espérée de l’Autriche.
L’aigle d’Autriche, déjà,A perdu des plumes.
Il a bu le sang d’Italie
Le sang polonais
Et celui du cosaque.
Mais son coeur lui brûle.
Rassemblons-nous en une cohorte ;
Nous sommes prêts à mourir
L’Italie nous appelle.
Nous ne nommons pas nos ennemis, ils ont été nombreux et variés, essentiellement européens : Anglais, Prussiens, et même Italiens, peu importe d’où ils viennent, ils sont d’un sang impur.
Aux armes citoyens
Formez vos bataillons
Marchons, marchons
Qu’un sang impur
Abreuve nos sillons.
Nous ne les nommons pas. Est-ce nécessaire ? Est-ce que le problème est là ? Non. Le véritable problème est la défense de la liberté.
Lors de la dernière guerre, les Allemands avaient interdit aux Français de chanter leur hymne national. C’était mal connaître les Français que d’espérer les voir obéir sans rien dire et surtout sans rien faire. Geneviève Cotty raconte comment la résistance des Français était partout, dans des détails insignifiants : la créativité française était à l’oeuvre, partout, dans la cuisine ou la mode et ce, malgré les restrictions.
Une “Marseillaise de la Résistance” fut créée en 1943 à Londres, elle s’appelait “le chant des partisans” ; les paroles sont de Maurice Druon et Joseph Kessel, la musique d’Anna Marly. Chanté à voix basse, fredonné ou bourdonné, sifflé sourdement, le Chant des Partisans est fait pour narguer en douce l’occupant ; il évoque la censure qui est appliquée, comme une chape de plomb, sur le pays. Il insuffle du courage à tous, rappelant que dans l’ombre, certains ont commencé à résister, il suggère les souffles, les murmures de la clandestinité, les ombres furtives, qui, la nuit, collent des affiches, sabotent les voies ferrées, rejoignent les maquis.
Les paroles s’adressent au plus grand nombre (l’ami qui ne peut rester sourd à ce qui se passe, le compagnon, le camarade, le partisan, le frère) ainsi perdurent solidarité, fraternité, mais la lutte implacable des maquisards, des combattants de l’ombre s’accompagne de la nécessité absolue d’avoir recours aux armes ; les risques sont réels et grand le danger.
Ami entends-tu
Le vol noir des corbeaux
Sur nos plaines.
Ami entends-tu
Les cris sourds du pays
Qu’on enchaîne,
Ohé partisans
Ouvriers et paysans
C’est l’alarme!
Ce soir l’ennemi
Connaîtra le prix du sang
Et des larmes…
Montez de la mine,
Descendez des collines,
Camarades.
Sortez de la paille
Les fusils, la mitraille,
Les grenades.
Ohé! les tueurs
A la balle et au couteau
Tuez vite!
Ohé! saboteurs
Attention à ton fardeau…
Dynamite…
C’est nous qui brisons
Les barreaux des prisons
Pour nos frères.
La haine à nos trousses
Et la faim qui nous pousse,
La misère.
Il y a des pays
Où les gens au creux des lits
Font des rêves.
Ici, nous vois-tu
Nous on marche et nous on tue
Nous on crève…
Ici, chacun sait
Ce qu’il veut, ce qu’il fait
Quand il passe
Ami, si tu tombes,
Un ami sort de l’ombre
A ta place.
Demain du sang noir
Séchera au grand soleil
Sur les routes.
Chantez compagnons,
Dans la nuit, la liberté
Nous écoute…
Ami, entends-tu Les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos Plaines ?
Immédiatement, le Chant des Partisans devint d’hymne de la Résistance française. C’est bien un chant de fraternité, et de combat, un appel intemporel à résister, un appel à la lutte fraternelle pour la liberté (nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères). Il donne la certitude que le combat n’est pas vain (si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place), et si la fin de ce chant semble absorbée par la nuit et se perdre, c’est que la nuit est l’heure de tous les rêves, à commencer par le rêve d’une liberté à conquérir éternellement.
Comme nul ne peut confisquer La Marseillaise, hymne de la Révolution Française fondatrice des valeurs d’égalité et de démocratie, personne ne peut confisquer non plus le chant des partisans ou cette valeur qu’a la liberté à nos yeux de Français.
Je le répète, oui, je vous l’avoue, je pleure chaque fois que j’entends chanter “La Marseillaise”. J’ai l’amour de mon pays. Je suis chauvine. Oui et alors ? Qui oserait me reprocher d’aimer ces quelques mots :
Amour sacré de la Patrie
Conduis, soutiens nos bras vengeurs
Liberté, Liberté chérie
Combats avec tes défenseurs!
C’est bien cela que j’aime dans cet hymne et dans mon pays : l’idée de la liberté qu’il faut aimer et défendre. Quelquefois, je me crains que nous soyons privés, insidieusement, de ce bien. Réagirions-nous à temps si la menace se précisait ?